Le 26
Sept. 1930
Paris
Ma bien chère Sophie
Avant de commencer ma journée je t’écris.
J’ai reçu Petroff que tu m’as
envoyé. Je continue à travailler et je t’enverrai bientôt d’autres pages par le
commencement. Tu me diras ton impression au point de vue littéraire et surtout
au point de vue du public français. Ce livre de mémoire pourrait-il présenter quelque
intérêt. Je commence à douter. Il sera peut-être trop sérieux de ton. Quand aux
histoires grassouillettes ce n’est pas mon fait. Imagine-toi que j’ai pris en
grippe B. Il n’y est pas du tout. Parfois il me dit, (comme si je faisais la
camelote littéraire comme lui) « Cet éditeur…oui mais il exige une scène
littéraire…et parfois « il faut amuser le lecteur ». Je lui ai
répondu que chacun fait ce qu’il peut. Alors, « Mais si…Vous pouvez, ce
n’est pas difficile, vous n’avez qu’à lire les histoires égrillardes et les
adapter » etc, etc.
Alors tu comprends que dans ces conditions
son concours est nul et je dois le
supporter à faire un tas de vantardise sur les affaires d’orient, affaires
d’ailleurs périmées, hors de cause, pendant que je suis bouillante d’impatience
pour continuer mon travail.
Enfin laissons le tranquille. Voilà, je vais
te donner quelques renseignements. Le livre paraîtra sous un pseudonyme. Elizabeth
Warda. Ce secret sera gardé jalousement entre nous trois. B. sait la
question de pseudonyme mais ne sait pas le nom que j’ai choisi. D’ailleurs il n’en
bavardera pas tant que le livre ne fera pas de bruit et alors déjà ça m’est
égale. Pour le lancer voilà ce que je pense. Poser un exemplaire chez Grasset
un autre chez W.R.T. et aller me présenter personnellement chez Rieder. Je tâcherai aussi saisir Bloch. Je verrai
Barbusse et j’enverrai des extraits à Romain R.
Je suppose que l’auteur est un membre de
mission sanitaire, de nationalité Belge. Elle écrit des mémoires, voilà tout.
Elle est en dehors des conflits, elle ne prend pas partie et elle ne regarde
sur les choses que au point de vue souffrance humain, un point, c’est tout. Le
sujet est le … Russe et Transcaucasien au début de la révolution et la Perse
sous la famine. Ce dernier sujet n’a pas été abordé dans les lettres
françaises. Le livre peut vraiment susciter un grand intérêt. Quoique écrit sous
la forme de mémoire romancée l’auteur touche le fond des choses et les grands
problèmes sans une forme assimilable pour tout lecteur. Je suis convaincu que
ce livre peut susciter de l’intérêt, il s’agit de le lancer comme il faut, et
alors après ce premier ballon d’essai, Elizabeth Warda pourrait marcher. Il
s’ouvrira devant nous peut-être de belles perspectives…
Ecris-moi ton opinion sur tout cela. J’ai été
très contente pour l’arrangement de la chambre, surtout si tu as l’électricité.
Je viendrai surement y faire un séjour
en hiver et je complèterai ton installation. Quand à ton arrivée à Paris, c’est
certain que si je suis en fond je
t’avancerai le nécessaire pour que tu viennes le 1e Novembre mais je
ne suis pas sûr. Pour le moment nous
comptons les sous…Mais Dieu est grand…Une pomme d’or peut tomber à
l’improviste.
Je te mettrai surement au courant de notre
situation pécuniaire. Si je n’écris rien à ce sujet c’est que la situation est
inchangée.
Je vais incessamment m’occuper du visa de
transit de C. J’ai parlé à Archag, il n’est pas encourageant. Nous allons nous
rencontrer ce matin chez Kalebdjian, tu imagines ! enfin, il faut, il
faut…
De B… nous avons les cartes mais ils ne nous
disent pas encore la date et l’heure exacte de leur arrivée. Je ferai tout mon
possible que leur arrivée ne rompe pas l’allure de mon travail.
Nous avons réuni les papiers nécessaires pour
Herant (pour le concours) et il va les présenter aujourd’hui. Dieu fasse que
tout cela finisse bien. J’ai lieu à espérer.
Mlle de la Motte a fait une excellente impression bien mieux je l’ai
aimé dès le premier moment et je me suis sentie familière et proche aussitôt.
Elle est certes plus dans notre genre que les siens.
Enfin ma chère fifille, voilà. Je t’embrasse
bien et je te souhaite toute sorte de chance et de bonheur.
Bien
à toi,
Zabel